I CHOSE THIS PATHSmog indéfinissable qui enveloppe la carcasse frêle et délicate, silhouette pâlichonne déchirant la fumée, déterminée par des buts qui n’ont jamais été les siens. Elle marche, s’enlisant dans un silence toxique d’une ville industrielle bruyante par ses machines infernales, elle ignore la cacophonie, ses grands yeux gris inconscients du désastre du monde dans lequel elle est née.
Famille aux nombreuses relations néfaste, elle vit dans le bruissement des billets et le rechargement des armes. Le sang elle l’a effleuré bébé, il était sur ses mains, sur ses vêtements, sa saveur métallique teintant les murs de son “chez soi” comme une couche de peinture jamais vraiment achevée. C’est ainsi qu’était sa vie parmi des grands, des dangereux, parmi des délinquants et des criminels fous, qui n’ont pourtant jamais économisé de leur amour pour elle, l’enfant, la petite, la princesse.
Puis, ils l’ont engagée. Car elle était comme eux, car ils étaient comme elle, car leur sang était exactement le même. Enfant de dix ans qui détient un flingue, personne ne la soupçonnerait, n’est-ce pas ? Alors ils l’ont emmenée avec eux, ils lui ont enseigné, ils l’ont enhardie, bâtie, forgée, comme une meurtrière, comme un soldat silencieux, qui tel les non désirés n’est jamais entrevu.
Elle marchait dans leurs pas, elle marchait dans leur ombre, puis un jour, un premier coup de feu est parti. Elle n’avait que treize ans, elle n’avait pas entièrement compris, qu’une fois qu’on tirait, on tuait. Le premier sang sur ses mains l’a salie, l’a dévastée, elle a perdu ce qu’elle avait de plus précieux, de plus personnel - son innocence.
C’était peut-être cela qui l’avait changée, qui l’avait transformée. Elle n’avait pas saisi la subtilité, elle ne l’avait pas effleurée, cela était passé trop au-delà de son esprit perdant sa candeur infantile, au-delà de tout ce qu’elle pouvait comprendre en ces temps. Ils l’avaient applaudie, ils l’avaient remerciée, ils lui avaient demandés de continuer ainsi. Car c’était ça chez eux, l’intelligence détrônée par les balles d’acier, seule la ruse subsistait à ces armes amères et froides, consciente de la nécessité de fuir, consciente de l’importance des paroles.
Les quinze ans dépassés, la petite avait appris toutes ces subtilités. Elle avait le “beau-parlé”, elle était oratrice, ses propos enchantaient et enchainaient, le coup de feu venant achever les victimes par des bourreaux qui n’avaient pas son visage. Ils la redoutaient et la craignaient, ils la vénéraient et l’aimaient. Mais rien n’est simple et aisé dans un monde de perpétuelle violence, les choses se corsent toujours, s’enlisent et s’éloignent des objectifs pourtant si clairs et si illuminés.
Elle avait vécu hors de tout système scolaire, hors de tout autre enfant. Elle était aliénée, machine de sang et de rouille marchant contre le vent car on le lui a demandé. Mais elle savait qu’il y avait autre chose que l’encéphale dégoulinant des murs sales, elle n’était pas ignorante et naïve comme elle laissait le croire. Jamais on lui avait interdit de s’en aller pour ne pas l’y pousser, mais elle a fini par le faire, par disparaître dans les vapeurs de la ville qu’elle détestait tant. Elle avait découvert l’amour, sauvage et fébrile, éphémère aussi. Elle avait été stupéfaite de retrouver une violence plus accrue encore là où celle-ci était prohibée. Elle a aimé et haï le monde dans lequel elle s’est aventurée et ne songeait plus à retourner là d’où elle venait.
Mais certaines erreurs poussent les plus grandes organisations à s’effondrer, provoquent des fuites d’informations vitales, comme par exemple l’existence d’une enfant qui a été suivie et espionnée et dont la localisation n’est en rien un mystère.
Certains réflexes ne s’oublient pas, certaines réactions non plus. Rien n’a pu empêcher le coup de feu qui a tué un policier, venu juste pour interroger cette fameuse enfant au sujet de son étrange famille.
Rien n’a pu empêcher la fuite de cette même fille et désormais femme pour s’éloigner des représailles.
Deux ans de peur et de détresse c’est très long. Parfois trop.
Parfois on finit juste par se tirer une balle.
Normalement on ne rouvre pas les yeux après ce genre de décision.
Pourtant, elle l’a fait, elle s’est réveillée, elle a hurlé. Une voix masculine, douce, chaleureuse, est venue la réconforter. Une autre, apaisante, venue de plus profond d’elle, lui a demandé
de prendre soin de son frère.
Elle n’a pas compris immédiatement. L’obscurité l'envahissait, le silence l'assommait, et elle ignorait où elle se trouvait.
En sécurité.Dialogue étrange engagé avec elle-même, une autre elle, qu’elle allait remplacer, qu’elle allait détrôner. Elle ne voulait pas, elle ne désirait que de la laisser en paix et s’effacer. Mais le cadeau ne se refusait pas, la vie offerte pour la sienne ne pouvait être gâchée. Elle allait exister.
Perséphone, se fit-elle appeler, aux côtés de sa nouvelle famille, de ses nouveaux amis. Si étrange cette nouvelle réalité, cette personnalité volée lentement disparaissant pour lui permettre de vivre sa vie la première fois. Ce frère jumeau, Jack, tendre et doux comme un soleil annonçant le printemps, précieux et chéri dès les premiers instants, lien indescriptible partagé entre les deux corps, mais déchiré entre les deux âmes. Ce fut celui le plus affaibli, le plus touché par cette transformation lente et progressive, par cette étrange illusion que sa soeur n’était plus la même. Deux années pourtant finirent par le convaincre que ce n’était rien, que c’était là qu’une évolution, changement anodin qui n’aurait aucune répercussion sur l’avenir.
Et Perséphone évolua réellement, découvrant une vie qui lui avait été octroyée gracieusement et dont elle se délectait.
Puis Jack est parti.
Le paradis s’est effondré.
Et en raison d’une promesse faite à une âme désormais en repos éternel, Perséphone ne put le laisser tomber.
Alors elle est partie le retrouver.